Décryptage de Marc Troulier, expert Data Centers chez ENGIE Solutions
Aujourd’hui, les data ou données circulent en tout temps, en tous lieux et transitent via des datacenters. Ces infrastructures essentielles à la donnée sont pourtant largement méconnues du grand public et suscitent des interrogations quant à leur impact carbone.
Qu’est-ce qu’un datacenter ?
Concrètement, c’est un centre de données colossal et stratégique qui stocke, traite, sauvegarde et protège les données grâce à un ensemble de baies de stockage, de serveurs et d’équipements spécifiques. Selon la puissance de ses systèmes de stockage et sa taille, un datacenter peut conserver des milliards de données. On en dénombre plus de 4 000 dans le monde.
Les grands datacenters privilégient les pays à la fiscalité attrayante, comme l’Irlande. Mais pour booster ce secteur et faire de la France « la première terre d’accueil de datacenters d’Europe », Bruno Le Maire a diminué en 2018 les taxes sur l’électricité de ces centres. Le marché français est donc en plein développement.
Le volume de données numériques mondiales augmente aujourd’hui de manière exponentielle : + 40 % par an. Cette augmentation est liée principalement aux transformations des usages du grand public, à la fois en termes de quantité (augmentation du nombre d’heures de vidéos stockées) et de qualité (augmentation de la définition des photos). Les textos deviennent des messages audio ou Snapchat, les jeux en local des jeux en réseaux, etc.
Avec ces évolutions, le marché des infrastructures de traitement et de stockage de données est en pleine expansion. On estime que 75 % de la population mondiale est aujourd’hui reliée à un datacenter et que le volume de la donnée traité en 2025 sera 5,3 fois supérieur à celui
de 2018. Tout cela nécessite bien évidemment des ouvrages hautement performants.
Comment répondre aux défis techniques liés à la gestion des datacenters ?
Toute la complexité de la gestion d’un datacenter réside dans son impératif de fiabilité. Les datacenters sont classés selon leur fiabilité, qui peut aller de 95 % à 99,995 %. C’est un véritable défi sur le plan technologique. Les installations techniques doivent donc être de très haute qualité, comparables à celles installées dans les salles d’opération des hôpitaux par exemple. Un entretien rigoureux des équipements est aussi nécessaire pour maintenir les performances. Des solutions de prévention et repérage anticipé des pannes sont réalisés en tout temps.
Ces infrastructures techniques sont de deux types. D’une part, il faut alimenter les serveurs en électricité avec des transformateurs, des onduleurs et des groupes électrogènes de secours. D’autre part, ces installations sont refroidies grâce à des groupes de froid qui évacuent dans l’air la chaleur excédentaire. 30 à 40 % de la consommation totale des datacenters sert en moyenne à refroidir les baies de serveurs ! Au total, un datacenter doit donc avoir à la fois une alimentation électrique qualitative et un service de maintenance pointu.
L’enjeu est de répondre à ce double défi par une approche globale de l’installation à la conduite des ouvrages. Les infrastructures installées dépendent aussi de l’usage. Ils ont deux fonctions : l’hébergement des données (stockage) et leur traitement (calcul). Si certains servent en premier lieu à l’hébergement (centre d’archives par exemple) d’autres traitent les données informatiques (datacenter lié à un centre de recherche). Ces derniers nécessiteront des infrastructures techniques beaucoup plus performantes et consommeront bien plus d’énergie, à la fois pour l’approvisionnement en électricité et pour la climatisation.
Les datacenters verts peuvent-ils être « verts » ?
L’impact environnemental du numérique devient en effet une préoccupation importante de l’opinion publique. Le sujet est d’actualité, avec la proposition de loi « visant à réduire l’empreinte environnementale du numérique en France » adoptée au Sénat en première lecture le 13 janvier 2021. Le quatrième chapitre de cette loi vise d’ailleurs à diminuer la consommation des centres de données et des réseaux. Les critiques à l’encontre des datacenters se focalisent en effet sur leur consommation énergétique qui représente 4 % de la consommation d’électricité mondiale, soit plus que l’industrie de l’aviation.
En réalité, l’écosystème des datacenters est plutôt vertueux et des solutions très concrètes existent. Ces dernières années, d’énormes progrès sur l’efficacité énergétique des installations techniques ont permis de doubler le rendement des datacenters. L’indicateur PUE (Power Usage Effectiveness), qui mesure leur efficacité énergétique (la différence entre l’électricité consommée par le datacenter et l’électricité consommée par l’informatique lui-même) est passé de 2,5 en 2006 à 1,3 aujourd’hui. La croissance des datacenters est donc décorrélée de l’accroissement de leurs impacts environnementaux. En apportant une expertise globale, de la construction à la maintenance en passant par l’installation des infrastructures, il est possible d’optimiser le coût carbone induit par les datacenters. C’est tout l’enjeu pour les années à venir : concilier la construction de datacenters et la réduction des émissions de GES.
Pour cela, une piste intéressante pourrait être de récupérer plus massivement l’énergie « fatale », c’est-à-dire perdue. Les infrastructures de climatisation rejettent en effet beaucoup de chaleur. Celle-ci est difficile à valoriser pour les gros datacenters de périphérie, mais elle peut l’être facilement pour les petits datacenters de centre-ville, construits à l’intérieur de bâtiments existants. Or, on remarque que c’est le type de datacenters qui se développe fortement aujourd’hui. C’est une source de chaleur à faible coût et à faible impact carbone.
Il y a encore d’autres solutions à développer : favoriser la construction de bâtiments en béton bas carbone, optimiser les systèmes de traitement de l’air, alimenter les datacenters avec de l’énergie renouvelable…. Outre ces innovations, un suivi environnemental très précis doit permettre à chaque étape d’évaluer l’impact carbone du datacenter. Proposer une offre globale et qualitative de l’amont à l’aval est une des clés pour l’avenir de ce marché.