Par Yves Grandmontagne, rédacteur en chef de Datacenter Magazine
Le préfet de la région Île-de-France a refusé d’accorder l’agrément au projet de datacenter d’Amazon Data Services France au motif « qu’aucune solution de valorisation de la chaleur fatale produite par le projet de Data Center n’est proposée ».
Dans un arrêté signé le 12 avril 2021, le préfet de la région Île-de-France a refusé d’accorder à Amazon Data Services France l’agrément nécessaire pour la poursuite de son projet de créer un datacenter sur l’ancienne base aérienne 217 de l’Armée de l’air à Brétigny-sur-Orge (Essonne). Ce refus repose sur un dossier ICPE d’Installation classée pour la protection de l’environnement déposé par Amazon en octobre dernier.
Parmi les motifs évoqués pour refuser l’agrément, les services de l’État mettent donc en avant « qu’aucune solution de valorisation de la chaleur fatale produite par le projet de Data Center n’est proposée », arguant que la récupération de cette chaleur est « établie comme une priorité du schéma régional du climat, de l’air et de l’énergie d’Île-de-France ».
Lorsque l’on connait les difficultés que rencontrent les datacenters pour valoriser la chaleur fatale – c’est d’ailleurs moins une question de volonté puisque le sujet est quasi systématiquement évoqué, qu’une question de praticité, de technologies et de coût qui dans la majorité des cas ne le permettent pas – l’argument employé par le préfet choque. Et peu importe que ce projet de datacenter soit porté par Amazon.
Les approches pour exploiter la chaleur fatale ‘perdue’ par les datacenters sont très loin d’être matures. Du côté des collectivités, la faisabilité technique – avec une température en sortie insuffisante ou des distances à parcourir trop longues pour limiter les pertes – ou la faisabilité économique avec des investissements nécessaires trop élevés pour que les projets soient rentables, rendent aujourd’hui ces projets de récupération de la chaleur fatale irréalistes. Et cela est connu et dénoncé par les experts.
Certes des solutions sont possibles, comme l’aquaponie, le chauffage de serres, ou de salles de sport avec des datacenters d’arrondissements à la Mairie de Paris. Mais si ce sont des projets intéressants, ils ne concernent que des activités de forte proximité. Dans les projets d’envergure, comme celui d’AWS ou d’autres en cours sur la région parisienne, la récupération de la chaleur fatale demeure un vrai sujet, mais il est encore irréaliste de les envisager sérieusement.
Les directives et réglementations comme la « priorité du schéma régional du climat, de l’air et de l’énergie d’Île-de-France » ne peuvent être tenus aujourd’hui, et cela est connu des experts. Dans ces conditions, la décision du préfet de la région Île-de-France de retoquer le projet d’Amazon nous semble plus politique que justifiée. Ceci d’autant plus que Valérie Pécresse, présidente de la région Île de France, invitait récemment encore, nous l’avons publiée ici, les projets de datacenters à se présenter afin d’obtenir son soutien.
Nous le dénonçons régulièrement, jusqu’à en faire l’un des piliers de notre Journée du datacenter, notre écosystème s’ouvre d’une méconnaissance par la majorité de nos politiques comme du public. Des arguments comme la pollution ou la faible création d’emploi ne tiennent pas face à la réalité, à la fois d’un écosystème vertueux, et qui est porteur de valeurs au profit des économies locales, régionales, voire nationales et souveraines.
Autre argument retenu par le préfet d’Île de France, l’artificialisation du terrain de 9,7 hectares sur lequel doit reposer le projet de datacenter, qui ne serait pas suffisamment complète. « Le dossier ne comporte aucune analyse de la vacance ni du potentiel de densification au sein du tissu urbain existant permettant d’apprécier la nécessité d’artificialiser cet espace ». Cet argument reposerait sur les objectifs du schéma directeur de la région Île-de-France (SDRIF) qui privilégient « la densification de l’existant par rapport à des extensions nouvelles » et « visent à minimiser la consommation d’espaces ainsi que leur impact environnemental et paysager ».
Là encore, l’argument a mal à passer… Lorsque le terrain a été vendu à Amazon, la question ne s’est pas posée. Et quand il s’agissait de construire des entrepôts, personne ne s’est soucié de l’artificialisation du terrain. Mais qu’une partie de l’entrepôt devienne un datacenter, la levée de boucliers réunie des élus (sauf ceux des communes concernées !) et des militants écologistes, sans l’expression d’arguments techniques d’ailleurs. Là encore la décision du préfet de la région Île-de-France de retoquer le projet d’Amazon nous semble plus politique que justifiée.
Les acteurs du datacenter doivent s’interroger sur ces oppositions. On ne peut à la fois faire le constat de l’explosion de la donnée qui accompagne la transformation digitale de notre société et s’opposer à l’implantation des projets de datacenter qui les supportent, et cela sans même prendre en compte les efforts vertueux consentis…