La question de l’usage de l’eau dans le datacenter est un domaine qui confine au confidentiel. Chez les hyperscalers en particulier, qui figurent déjà parmi les plus gros consommateurs d’électricité, les accords avec les fournisseurs locaux de l’eau sont secrets. Tandis que les rares chiffres qui circulent frisent l’irrationnel… Après l’électricité, l’eau pourrait bien devenir le prochain sujet de controverse sur les datacenters.
Tribune par Yves Grandmontagne, rédacteur en chef de Datacenter Magazine
Souvenez-vous, en début d’année nous avons publié un article sur une plainte déposée contre Google Chili liée à l’usage de l’eau pour refroidir son futur datacenter, à proximité de Santiago du Chili (Histoire d’eau – Google Chili face à une plainte contre son futur datacenter). Nous vous dévoilions que le datacenter devrait afficher une consommation de 169 litres d’eau par seconde extraite du système aquifère central de Santiago. Soit 14 601 600 litres d’eau par jour, ou encore l’eau nécessaire pour remplir une piscine olympique toutes les quatre heures, donc l’équivalent de 6 piscines olympiques par jour.
La consommation d’eau des datacenters, un secret bien gardé
La question de l’eau pourrait devenir centrale dans les projets de datacenter. Pourtant ce domaine demeure secret. A l’exemple de la commune américaine de The Dalles, dans le comté de Wasco en Oregon, où le conseil municipale a voté à l’unanimité un nouvel accord pour l’approvisionnement en eau de deux datacenters de Google. L’accord prévoit que Google investira 28,5 millions de dollars dans l’extension des infrastructures hydrauliques de la ville, pour une capacité de 5 millions de gallons (environ 19 millions de litres) par jour. Un cadeau pour la ville ou un cadeau pour Google ? Au cours des 15 dernières années, le géant du cloud a reçu plus de 240 millions de dollars d’allégements fiscaux sur ses installations existantes…
Un journal local, le Oregonian, a cherché à savoir quelle serait la part de Google et de ses datacenters dans la consommation de cette extension d’infrastructure hydraulique ? Mais il a reçu un refus des autorités locales. L’accord est secret et tous les protagonistes de cette affaire ne veulent pas en démordre. L’affaire est aujourd’hui entre les mains des juges, et si le procureur du comté de Wasco a arrêté que la ville devait divulguer l’information, The Dalles poursuit le journal pour garder secrète.
Autant les datacenters peuvent aujourd’hui se montrer transparents sur leur consommation énergétique, un domaine sur lequel ils se sont montrés vertueux ces dernières années, et où ils s’affichent très actifs, autant sur la question de l’eau, c’est l’omerta. Ces informations doivent demeurer secrètes. Et peu importe que certains acteurs, comme Microsoft, semblent vouloir s’engager sur la question – sans pour autant dévoiler beaucoup de chiffres -, la consommation de l’eau par le datacenter est un sujet tabou. Et l’objet d’un fort lobbying de leur part !
Moins certainement en Europe, où les acteurs du datacenter semblent vouloir s’emparer du sujet. Qui sera moins sensible qu’aux Etats-Unis ou en Asie, ce qui s’explique facilement par l’avance technologique de nos datacenters sur le refroidissement, par exemple le free cooling ou l’adiabatique contrôlé, qui fait de nous les meilleurs élèves de la planète, et les moins consommateurs d’eau.
Une question technologique très… politique !
Mais que l’on ne se gargarise pas trop de cette situation. Le gigantisme américain comme asiatique favorise les infrastructures hyperscales, gigantesques usines à données qui sont également refroidies par des outils industriels reposant sur l’eau. En Europe, l’échelle régionale est plus réduite, et les hyperscalers sont encore peu nombreux implantés sur nos territoires. Mais la question de l’eau émerge rapidement, et elle rejoint celle, sensible, de l’électricité. Surtout que si les géants du datacenter continuent de ne pas déroger de leurs modèles technologiques, la question de l’eau se posera invariablement…
Les autorités, comme les associations et mouvements politiques et écologiques, commencent déjà à s’en emparer. La mesure est la première étape à mettre en place. La comparaison suivra avec son lot de bonnes et de mauvaises notes, et de jugements hâtifs et de condamnations. Puis viendront les réglementations et les contraintes. L’écosystème du datacenter doit s’y préparer.