Dans une interview accordée aux Echos, Olivier Micheli, le président de France Data Center, a indiqué que la filière est prête à pratiquer l’effacement afin de réduire à la demande de 1GW la consommation électrique des datacenters par temps de grand froid. Mais les experts doutent et les clients n’en veulent pas…
Contraint entre l’explosion du prix de l’énergie, les pénuries (défaillance du parc nucléaire et livraisons de gaz) et la crise ukrainienne, le gouvernement français veut réduire de 10% la consommation d’électricité du pays durant l’hiver. Et, à lire le discours d’Olivier Micheli interviewé par Les Echos, la filière française du datacenter serait prête à pratiquer l’effacement afin d’apporter sa contribution à « l’effort de guerre« .
- Une contribution évaluée par France Data Center à 1 GW, soit un peu plus de 1% de la consommation électrique en France en période de grand froid.
Le discours frappe les esprits, même si la chose n’est pas nouvelle : l’effacement se pratique dans l’industrie, et même chez des datacenters comme Scaleway dès 2020, nous l’avons évoqué ici (lire « Scaleway a pratiqué le premier effacement de puissance piloté de son histoire » et « Arnaud de Bermingham, Scaleway, nous dit tout – ou presque… – sur la pratique de l’effacement« . Ce qui est nouveau, c’est la volonté des représentants de la filière d’engager ses membres dans cette voie.
- Le principe de l’effacement est simple : à la demande du régulateur du réseau électrique (RTE principalement), l’entreprise s’engage contractuellement à se couper du réseau, soit en cessant ses activités – dans beaucoup de secteurs une interruption moyenne de production de 20 minutes a peu d’effet sur son activité -, soit en produisant elle-même son électricité via ses groupes électrogène.
Les groupes électrogènes ne sont pas faits pour cela…
La filière française du datacenter est depuis longtemps vertueuse et s’applique à agir favorablement au profit de l’environnement. Choisir de faire tourner les groupes électrogènes pour produire de l’énergie sans qu’ils soient équipés de systèmes anti-pollution est pour beaucoup une hérésie. Mais la problématique est ailleurs.
Dans un datacenter, tout est fait pour assurer la continuité de service. Ce qui inclut la continuité de l’alimentation électrique. En cas d’effacement, les groupes électrogènes prennent le relais, avec des problématiques de bascules entre les réseaux à prendre en compte. Une première question s’impose : les groupes électrogènes sont-ils fait pour cela ? La réponse est non, ils sont destinés à l’exception, le secours, pas à la production d’énergie en continu. Leur conception pour le secours les rend fragiles pour d’autres usages, le risque de dégradation des équipements est donc réel, et les groupes pourraient devenir rapidement inopérants s’ils doivent fonctionner quelques heures d’affilé.
Notons que seuls les groupes secours pour datacenter Tier IV peuvent fonctionner en production continue d’énergie, c’est ce qu’impose l’Uptime Institute, mais le niveau de d’investissement dans ce type d’équipement, quelque uns existent chez mes grands fabricants, les rend inaccessibles.
Les clients du datacenter effacé sont-ils d’accord ?
Nous en avons rencontrés, et leur réponse est clairement « non ». Ils ne souhaitent pas ajouter un nouveau risque, celui de se voire imposer de faire tourner des groupes et d’activer des bascules qui peuvent présenter des défaillances. Et cela sans bénéficier de garanties pour maintenir leurs cuves à plein.
Si les opérateurs de datacenters prennent leurs précautions – chez Data4, comme chez d’autres acteurs de la colocation et de l’hébergement, la réserve de fuel a été portée de 72 heures à 10 jours -, tous ne peuvent pas non plus s’engager dans cette voie. D’ailleurs, la proposition de France Data Center s’accompagne d’une demande de l’association auprès des représentants de l’Etat : rejoindre la liste des organisations d’importance vitale afin d’être considérées comme prioritaires dans la livraison des carburants.
A partir de notre analyse, la proposition de France Data Center, dont l’interview est publiée par Les Echos en marge de l’inauguration très politique du nouveau datacenter d’OVHcloud à Strasbourg, prend également une tournure politique. Car par ailleurs il faut intégrer deux autres paramètres, la capacité d’EDF à produire de l’électricité nucléaire et l’évolution de la météo, et sur ce plan tout le monde évolue dans un flou non maîtrisé.
Les membres de France Data Center pourraient-ils effacer leurs datacenters en période de grand froid en produisant de l’électricité sur les groupes de secours ? Si leurs réserves le permettent, avec la garantie de pouvoir les renflouer en priorité, et si leurs clients l’acceptent contractuellement, pourquoi pas. Mais pas s’ils mettent en danger leurs investissements. Et surtout ce que les clients attendent, c’est une capacité d’anticipation qui limite la prise de risque en garantissant la continuité d’activité. En son absence, les clients comme la majorité des exploitants de salles informatiques ne sont pas prêts de l’accepter.