Le géant américain DataBank – qui depuis l’acquisition de zColo, l’activité de colocation de Zayo Group Holdings, aligne 65 datacenters dans 29 marchés métropolitains et 20 sites d’interconnexion majeurs – a levé 658 millions de dollars par titrisation immobilière dans le but de développer une offre Edge Computing. Mais en s’appropriant l’expression Edge, est-ce qu’il parle de la même chose que nous ?
Ce modèle de financement, tout d’abord, que nous avons déjà évoqué plusieurs fois (lire « STACK Infrastructure recourt à la titrisation pour emprunter 400 millions $ supplémentaires » ou « Sabey Data Centers a levé 800 millions $ par titrisation« ), repose sur la vente de billets garantis, des emprunts de fonds à un taux inférieur en utilisant des pools d’actifs et des flux de trésorerie, comme des baux à long terme, comme garantie. Les colocataires des sites sont en particuliers invités acquérir ces billets.
Au-delà de ce modèle immobilier qui s’étend principalement aux Etats-Unis, c’est un autre aspect de l’annonce que nous souhaitons évoquer aujourd’hui, qui est d’ailleurs fortement associé à la stratégie du groupe. Rappelons que DataBank appartient à Colony Capital, un investisseur immobilier qui a la particularité d’afficher la vision stratégique d’une infrastructure numérique convergée, réunissant des datacenters hyperscale, de la colocalisation, du modulaires, de petits réseaux cellulaires et de la fibre.
L’annonce de la recherche de financement est donc accompagnée d’une volonté stratégique, celle d’adresser le marché du Edge Computing. Mais est-ce que nous parlons du même Edge Computing ?
L’objectif central du Edge est de rapprocher les données et les services de l’utilisateur final, afin de réduire les temps de latence, de soulager les réseaux et de rapprocher les calculs du temps réel. Tout le monde s’entend sur cette définition. Par contre, l’échelle n’est pas la même des deux côtés de l’Atlantique. Aux Etats-Unis, le Edge Computing a une dimension régionale, c’est à dire pour couvrir les Etats. En Europe, le Edge a une dimension locale, c’est à dire tournée vers les usages, comme l’IoT industriel, la 5G, la Smart City ou le Smart Building. A l’ouest de l’Atlantique, il faut servir de grandes régions, à l’est il faut servir le temps de latence.
C’est ainsi que de l’origine périphérique du Edge qui semblait être clairement défini, au travers du langage et des offres des grands acteurs de la colocation le Edge Computing devient une offre régionale. Voilà qui est bien pratique pour s’inscrire en concurrence sur le marché du Edge, alors que la dimension locale manque à cette approche.
Avec son financement, DataBank met en évidence l’émergence de la périphérie commerciale, une tendance qui s’accélère, mais qui n’est pas toujours la bonne réponse à apporter aux attentes des utilisateurs. D’ailleurs, Colony Capital a investi dans une autre société, EdgePresence, qui se présente comme le spécialiste des datacenters de périphérie. Sur son site, cette dernière fournit un chiffre intéressant : 124 miles, soit environ 200 km. Si l’on suit l’offre de EdgePresence, lorsqu’un usage de l’informatique et du cloud est à plus de 200 km d’un datacenter, l’adoption du Edge Computing s’impose. La ‘périphérie’ (edge) prend tout son sens ici.
Nous voici donc, comme le démontre DataBank, devant deux conceptions du Edge Computing : l’une régionale, à l’échelle d’un Etat, pour les grands acteurs de la colocation ; et l’autre locale, liée à des usages où à la recherche d’une forte proximité, dans une approche plus traditionnelle, mêlant technologie, criticité et performance. En portant l’expression Edge Computing dans leurs offres, les géants du datacenter modifient l’échelle, à croire qu’ils cherchent à fagociter un marché qui n’est pourtant pas le même. A l’échelle américaine, cela se comprend, à l’échelle locale, les objectifs sont différents.
Il faut donc désormais bien s’entendre sur le sens de cette expression, il y a bien Edge Computing et Edge Computing… et un écart minimum de 200 km entre les deux.