Le mouvement est encore sournois, mais certains grands actionnaires d’Interxion pourraient bien exprimer leur mécontentement sur le prix de rachat de l’action. Et pointer du doigt les conditions dans lesquelles le rachat par Digital Realty Trust se déroulent.
C’est un mouvement logique que l’on retrouve lors des opérations de M&A (fusion et acquisition), les conditions de rachat ne satisfont pas tous les actionnaires. En cause, l’échange d’une action Interxion au prix de 70% d’une action Digital Realty, soit l’équivalent de 93 dollars l’action Interxion. La prime à l’action, qui se négociait 89 dollars à la clôture qui a précédé l’annonce, est jugée insuffisante.
Pour comprendre la grogne, il faut rappeler qu’Interxion négocie depuis longtemps son virage, et qu’à jouer sur les déclarations et les marchés, la valeur de l’action estimée par les analystes et les banquiers entrait plutôt dans une fourchette de 100 à 120 dollars. Ce qui correspond d’ailleurs à certaines estimations réalisées du côté d’Amsterdam, le bastion historique d’Interxion. On comprend dans ces conditions que les grands investisseurs soient frustrés, même si, interrogés par notre confrère DCD (Data Center Knowledge), aucun ne s’est encore risqué à l’exprimer ouvertement.
Du côté des investisseurs de Digital Realty, le questionnement est différent : la rentabilité d’Interxion serait deux à trois fois inférieure à celle de la société américaine – la faute à la surface financière trop faible du britannique qui lui aurait imposé de financer sa rapide expansion à des taux trop élevés – ce qui devrait entraîner deux années déficitaires avant que la renégociation des emprunts ne permette de redresser la barre.
Et puis, à l’inverse d’Interxion, le ticket versé par Digital Realty ne serait-il pas trop élevé pour racheter un acteur européen qui certes occupe la seconde place, mais malgré sa présence sur les FLAP (hubs de Francfort, Londres, Amsterdam et Paris) ne représente qu’un peu moins de 4% de la totalité de la puissance informatique générée dans ces derniers et 2% de la surface totale (chiffres de Cushman & Wakefield) ? Et seulement 1% des constructions en Irlande.
Un dernier point pourrait soulever l’opprobre des actionnaires d’Interxion : l’opération aurait été réalisée sans appel d’offre. Ce que les discours de David Ruberg, CEO d’Interxion, semblent confirmer. “Nous nous sommes concentrés sur ce que nous pensions être nécessaire pour réussir. (…) La compensation était secondaire”. Sous-entendu, nous n’avons pas joué la prime aux actionnaires. Le prix négocié de l’action à 93 dollars aurait donc été négocié entre les deux partis, mais si le marché avait joué son rôle, il se serait négocié autour des 113 dollars. On comprend mieux le mécontentement.
Quant au risque pour le marché financier européen, c’est de renouveler ce qui s’est passé aux Etats-Unis, où la consolidation des datacenters autour de quelques acteurs – Equinix, Digital Realty, CyrusOne… – a tué la spéculation et les velléités de valorisation des actions au dessus de leur cours jugé trop stable/faible. L’Europe, mais aussi l’Asie, représentent un fort potentiel de valorisation des placements dans les datacenters, que des opérations concertées risquent fort de limiter.
Ce qui pourrait ouvrir un large couloir aux GAFAM qui jouent à un triple jeu : clients des datacenters FLAP, mais aussi investisseurs en propre sur les mêmes lieux, et qui lorgnent sur des positions plus régionales (Madrid, Stockholm, Vienne) ou sur les nouveaux hubs éloignés des interconnexions FLAP (Bilbao, Marseille).
Reste que le rachat d’Interxion par Digital Realty reste soumis à l’approbation des actionnaires. Et pour le moment la grogne ne s’est pas encore exprimée ouvertement. Les prochains jours nous en apprendront plus…